mercredi 7 mai 2008

> Droits de l'Homme : bilan d'un an sous l'ère Sarkozy

Dans son rapport annuel, la Ligue des Droits de l'Homme dénonce une aggravation des atteintes aux droits et aux libertés en France. Quel est le bilan de la première année du mandat de Nicolas Sarkozy en termes de droits de l'Homme ? Pourquoi évoque-t-on l'asphyxie de la démocratie ?

LA RUPTURE

Le rapport évoque un "présidentialisme de rupture" : aucune institution démocratique n'a résisté à l'agitation de Nicolas Sarkozy. Le gouvernement n'existe plus de manière collégiale. On voit des ministres qui apparaissent puis disparaissent. Ils sont réprimandés ou félicités. Le seul gouvernant réel, c'est finalement le président lui-même et, d'ailleurs, il le paye cher puisqu'ayant tout concentré entre ses mains, il concentre aussi les critiques contre sa personne.

Le parlement vote les réformes comme on le lui dit, quand on le lui dit, même si cela ne manque pas de susciter une grogne de plus en plus généralisée au sein de la majorité elle même, voire à l'intérieur même du gouvernement (épisode du vote de la loi sur les OGM par exemple).

Pour ce qui est de la justice, la garde des Sceaux a dit elle-même aux magistrats qu'ils n'étaient pas là pour appliquer la loi mais pour appliquer la volonté des 53% de Français qui ont élu Nicolas Sarkozy pour rénover l'autorité. On voit à quel point la séparation des pouvoirs et le sens même de nos institutions sont menacés. Parce que confondre le peuple français avec une majorité présidentielle de passage, faire passer la volonté d'un homme pour la loi, c'est très inquiétant.

On a également constaté des dérapages par rapport à la laïcité sur laquelle, au fond, les convictions personnelles du président remplacent la tradition républicaine. Il y a une déstabilisation des institutions et des valeurs. De ce point de vue, le fait que Nicolas Sarkozy veuille qu'on réécrive le préambule de la Constitution, qui contient la Déclaration universelle des droits de l'Homme, ne fait rien pour nous rassurer...

Du point de vue du droit social, on constate que, plus l'État pénal augmente, plus l'Etat social régresse. Il y a deux fois plus de détenus qu'il y a trente ans en France. La loi sur la récidive et celle sur la rétention de sûreté ne vont rien arranger, sans parler des sans-papiers et des étrangers. Nous tendons, comme Nicolas Sarkozy y aspire vers le modèle américain avec des lois hyper répressives et une remise en cause profonde de notre modèle social.

Il y a sept ans, il y a eu des rapports parlementaires alarmants sur la situation des prisons françaises. Les gens étaient effarés, y compris ceux du RPR qui parlaient de "honte pour la République". Qu'a-t-on fait depuis ? Nous comptons désormais 63.000 détenus pour 50.000 places. Tous les observateurs étrangers qui sont venus visiter nos prisons ont affirmé que c'étaient des machines à fabriquer de la délinquance. Et la réponse de notre président, c'est que nous allons passer de 60.000 à 80.000 détenus...

Nous voulons sanctionner toujours plus sans s'attaquer aux causes profondes du problème : l'éducation et le manque de lien social. Seulement ces thèmes là ne payent pas électoralement parce que cela prend du temps et coûte de l'argent. A contrario, faire du tout répressif ne coûte rien et cela permet de récupérer les électeurs d'extrême droite. Le discours sécuritaire ne produit pas de sécurité. Il produit de l'insécurité qui permet de ramasser les dividendes électoraux. Le but des politiques sécuritaires n'est pas d'augmenter la sécurité mais de trouver les conditions de récupération de l'électorat d'extrême droite...

LE BILAN INTERNATIONAL

Nous avons vraiment une situation contradictoire. Nicolas Sarkozy avait été très dur envers Jacques Chirac pendant sa campagne. Il nous expliquait, notamment, que son prédécesseur s'était couché devant Vladimir Poutine et que lui serait courageux face au despote. Il a également fait un grand discours aux ambassadeurs en septembre dernier en expliquant que les droits de l'Homme serait au centre de la politique étrangère de la France. Résultat : non content d'avoir rencontré le président Poutine, il a été le seul dirigeant des grandes démocraties à déclaré que les élections législatives russes s'étaient parfaitement déroulées. Ne parlons même pas de l'accueil réservé au colonel Khadafi lorsqu'il est venu à Paris ou du prolongement de la politique de la Françafrique.

Et puis il y a eu tout récemment cet incroyable discours à Tunis où Nicolas Sarkozy a finalement conseillé au président Ben Ali de continuer à torturer et à emprisonner les dissidents politiques parce que cela arrange tout le monde. Nicolas Sarkozy n'est même pas au niveau de George Bush qui a reçu, comme Angela Merkel, le Dalaï Lama. Notre chef de l'Etat est aux antipodes de ce qu'il avait annoncé pendant la campagne présidentielle.

Nous ne demandons pas de faire de l'angélisme, mais il y a des limites à l'indécence. La Chine est un grand marché, certes. Mais la Tunisie ? Si nous ne pouvons même pas dire à un pays comme la Tunisie qu'il doit respecter les droits de l'Homme, on peut se demander à qui nous allons le dire...

La politique atlantiste de Nicolas Sarkozy, ce rapprochement avec le président américain, cette fascination pour le monde outre-Atlantique, marque en revanche une vraie rupture avec la politique de son prédécesseur. Une rupture avec le gaullisme, tout simplement.

LE RÔLE ET LA PLACE DE LA SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉE DES DROITS DE L'HOMME;

Madame Yade fait de la politique depuis vingt ans. Mais il est de plus en plus évident que son rôle est celui de la photo de famille lors de la présentation du gouvernement. Elle représente, avec d'autres, la diversité. Ce qui, en soi, est d'ailleurs une très bonne chose.
Mais constatons les faits : tantôt Nicolas Sarkozy l'oublie à l'aéroport avant de partir (en Chine), tantôt elle l'accompagne à Tunis mais elle n'a pas le droit de parler (en juillet 2007).

Il y a également cette déclaration au moment de la réception du colonel Khadafi ou elle avait expliqué qu'il ne fallait pas le recevoir le 10 décembre, journée des droits de l'Homme, mais le 11. Comme si serrer la main des dictateurs était moins grave le lendemain d'une commémoration symbolique plutôt que le jour même. Tout cela est un peu pitoyable...

La comédienne ne trompe plus personne. Madame Yade est un paravent médiatique. Malheureusement celui-ci ne remplit plus son office puisque tout le monde voit à travers.

Source : Rapport annuel de la LDH, présenté par Jean-Pierre Dubois (Président de la Ligue des droits de l'Homme)

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